Filigrane – Le Cercle Sacré des Petits Téléphages

Chez La Licorne – Vous trouverez les sujets du mois et aussi les textes des copinautes.

Assis en rang d’oignons devant la télé,
les cinq mini-spectateurs ont l’air de participer
à une réunion très sérieuse de la Société des Enfants Qui Ne Bougent Pas,
fière institution de notre société moderne.

L’un d’eux semble négocier mentalement
pour savoir s’il peut s’approcher de cinq centimètres de l’écran
sans que les adultes surgissent en criant :
« PAS TROP PRÈS ! »

Le vieux téléviseur, lui, fait son possible :
il essaie de ne pas tousser,
il chauffe, il grésille,
il hésite entre montrer un dessin animé
ou une tempête de neige involontaire.

La lampe à côté supervise la scène
comme une tante un peu trop jugeante :
« Et dire que j’ai survécu aux années 70 pour voir ça… »

Mais les enfants s’en fichent.
Pour eux, c’est l’événement du siècle,
un spectacle digne des plus grandes soirées.
Un épisode incroyable,
un moment solennel,
un rite sacré :
regarder la télé… en toute immobilité collective.

On dirait presque qu’ils s’attendent à recevoir
un diplôme à la fin :
“Félicitations, vous avez tenu trente minutes sans bouger.
Vous êtes officiellement des experts en télévision.”

Filigrane – Les âges de la vie

Chez La Licorne – Vous trouverez les sujets du mois et aussi les textes des copinautes.

Les âges de la vie

Dans la main tremblante, une photographie : le passé s’y abrite comme une flamme fragile. Le visage jeune s’y dessine, clair, lisse, plein d’élan. Pourtant, derrière lui, le présent veille, marqué de rides comme un livre feuilleté par le temps. La mémoire s’invite dans ce dialogue secret. Elle murmure des noms, des rires, des instants oubliés que seule l’âme conserve. Chaque souvenir est une étoile, suspendue au-dessus des années.

La fragilité n’est pas une faiblesse : elle est la tendresse du corps qui a tant vécu, la délicatesse de la peau qui raconte l’histoire mieux que les mots. Elle est le tremblement discret d’une vie qui se sait précieuse.Et dans ce contraste éclate la beauté. Non pas celle des traits immobiles, mais celle du passage, du chemin parcouru, de la lumière qui habite encore les yeux. La beauté qui persiste, différente mais intacte, comme une vérité que rien ne peut effacer. Ainsi, les âges de la vie ne s’opposent pas : ils se superposent, s’étreignent et se prolongent. Et dans cette rencontre fragile entre hier et aujourd’hui, se révèle l’éternelle grâce d’exister.

La Licorne – 92 – la salle de bain

Filigrane

La Farce de la Salle de Bains »
Dans le cadre exigu de la salle de bains, l’homme se tenait, figé dans une posture improbable, vêtu d’un costume sombre qui semblait tout à fait déplacé dans ce lieu d’intimité. Son regard se fixait dans le miroir, où son reflet semblait le défier avec un sourire moqueur.
L’eau de la baignoire stagnait là, comme une mare abandonnée, attendant désespérément d’être libérée de sa torpeur. Des bulles d’ennui semblaient éclater à sa surface, ajoutant une touche de comédie à cette scène absurde.
Soudain, un frisson parcourut l’homme, brisant la monotonie de l’air. Il entreprit alors de se dévêtir avec une grâce maladroite, comme s’il se battait avec ses propres vêtements. Sa cravate, rebelle, semblait s’accrocher à son cou comme un enfant à sa mère le jour de la rentrée des classes.
Le regard toujours fixé sur son reflet, l’homme se mit à débattre avec ses pensées, comme s’il tentait de convaincre une audience invisible de la justesse de ses actions. Puis, dans un geste théâtral, il se précipita vers la baignoire, manquant de glisser sur le sol carrelé dans sa hâte.
Une fois assis dans la baignoire, il jeta un regard circulaire autour de lui, comme s’il s’attendait à découvrir un public dissimulé derrière le rideau de douche. Mais la seule réponse à son acte était le silence, ponctué par le doux gargouillis de l’eau s’écoulant du robinet.

La Licorne – 88 – la fleur du mal

Filigrane

Marguerite

Marguerite

Marguerite
« Blanche fille aux cheveux roux,
Dont la robe par ses trous
Laisse voir la pauvreté
Et la beauté »
Mais quelle beauté ? T’es moche, t’es moche vraiment moche ! Tu n’es pas une fleur et pourtant je t’aime, tu es triste et sinistre et je t’aime. T’es sotte très sotte et pourtant je t’aime.
Vois-tu la vie ne t’a pas ménagée et pourtant tu ne vois pas le mal !
« Tu portes plus galamment
Qu’une reine de roman
Ses cothurnes de velours
Tes sabots lourds. »
Fallait être dingue pour te draguer tant tu es moche. T’es bête et même très bête et pourtant je t’aime
Tu n’as rien pour accrocher le regard et pourtant nous voilà accrochés.
Finalement moi aussi je suis moche, t’es cloche et je suis cloche ;
Tu m’aimes et je t’aime. D’ailleurs la Marguerite n’a plus de pétales. Nous les avons extirpés un à un. C’est bête l’amour et c’est chouette.

La Licorne – 86 – La passagère du silence

Filigrane

C’est toujours un crève-cœur lorsque l’on découvre que son enfant, celui que l’on chérit de toute son âme n’est pas tout à fait comme les autres. Quand il naît, il est parfait et le restera malgré un handicap. Milly est une jolie petite fille aux cheveux de miel aux yeux pétillants de malice et de bonheur mais voilà elle n’entend pas. Ses oreilles restent insensibles au moindre son. Alors que faire de cette gamine ? Sa mère la rejette ! On ne fera rien avec elle. Je voulais qu’elle apprenne le piano ou le violon mais là c’est un désespoir. Son père lui garde son amour et est pourtant incapable de s’en occuper. Aucune démarche ne sera faite pour que Milly puisse se développer harmonieusement. Très vite elle est confiée à Nounou qui apprend à communiquer avec elle. Sa mère, elle ne la verra pratiquement plus juste une carte postale de temps en temps.

    Pourtant Milly a un secret. Elle lit, elle dessine et adore « faire de la peinture ». C’est avoir bonheur que Nounou lui installe un chevalet dans un coin de sa cuisine. Chaque jour Milly, sur la pointe des pieds se cramponne à son pinceau et fait naître des volutes, des arabesques puis à force travail car c’est du travail, elle réalise des petites fresques sur des grandes feuilles de papier, un peu à la manière du Douanier Rousseau ; Nounou lui a montré des albums de peinture.

    Elle ira aux Beaux-Arts, deviendra un très grand peintre connu et reconnu. Sa surdité ? Elle en a fait un atout. Tout dans son œuvre respire la paix et le silence, des couleurs douces aux coups de pinceau légers, effleurant la toile. Elle sera surnommée plus tard la « passagère du silence » !

La Licorne – jeu 80 – livret de famille

Filigrane – Atelier d’écriture pour le mois de septembre –

Livret de famille

  • Dis maman, pourquoi mon ti-cheurt n’est pas comme le tien ?
  • C’est comme cela mon enfant, les parents rayés et les enfants à carreaux
  • Pour que je me tienne à carreaux ? Oui je comprends bien mais on vit dans un monde rayé. Regarde même les cabines de bains sont rayées la dame est rayée et le sol est rayé aussi. D’ailleurs pourquoi elles sont grises les lattes. On pourrait bien les peindre en rouge bleue ou jaune. Mais ici tout est gris, le photographe s’est trompé de pellicule, il a oublié sa pellicule couleur.
  • Oh mon chéri c’est une histoire de famille, cesse de poser des questions !
  • Famille, quelle famille ! Dis maman si je me contorsionne, comme la grenouille qui voulait être comme le bœuf, tu sais celle qui est racontés dans le livret que l’école nous a prêté, tu crois que mon ti-cheurt sera aussi rayé que mon oreiller !
  • Essaie toujours !

Et voilà le mioche qui se tortille comme un ver, qui saute, se roule, s’étire, se plie se tourne et se retourne puis il demande :

  • Alors j’ai des rayures en long en large ou encore des carreaux ?
  • Ben des carreaux !

Alors il recommence la même gymnastique, souffle, transpire, vire en apnée, mais rien n’y fit. La mère se mit à rire.

  • Il en manque encore beaucoup avant que tu sois rayé !

Le gamin nerveux lâcha la main de sa mère et partit en courant vers la mer, sauta à pieds joints dedans. Son ti-cheurt était toujours à carreaux mais mouillé.